Repoussé d'une semaine
au 10 décembre
Antoine de Saint-Exupéry
au 10 décembre
Antoine de Saint-Exupéry
LE PETIT PRINCE
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Deadline for completion is Tuesday,December 10, 12:59
PM.
CHAPITRE V
Chaque jour j’apprenais quelque chose sur la
planète, sur le départ, sur le voyage. Ça venait tout doucement, au hasard des réflexions.
C’est ainsi que, le troisième jour, je connus le drame des baobabs.
Cette fois-ci encore ce fut grâce au mouton, car
brusquement le petit prince m’interrogea, comme pris d’un doute grave :
– C’est bien vrai, n’est-ce pas, que les moutons
mangent les arbustes ?
– Oui. C’est vrai.
– Ah ! Je suis content.
Je ne compris pas pourquoi il était si important que
les moutons mangeassent les arbustes. Mais le petit prince ajouta :
– Par conséquent ils mangent aussi les baobabs ?
Je fis remarquer au petit prince que les baobabs
ne sont pas des arbustes, mais des arbres grands comme des églises et que, si
même il emportait avec lui tout un troupeau d’éléphants, ce troupeau ne
viendrait pas à bout d’un seul baobab.
L’idée du troupeau d’éléphants fit rire le petit
prince :
– Il faudrait les mettre les uns sur les autres…
– Les baobabs, avant de grandir, ça commence
par être petit.
– C’est exact ! Mais pourquoi veux-tu que tes
moutons mangent les petits baobabs ?
Il me répondit : « Ben ! Voyons ! » Comme s’il s’agissait
là d’une évidence. Et il me fallut un grand effort d’intelligence pour
comprendre à moi seul ce problème.
Et en effet, sur la planète du petit prince,
il y avait comme sur toutes les planètes, de bonnes herbes et de mauvaises herbes.
Par conséquent de bonnes graines de bonnes herbes et de mauvaises graines de
mauvaises herbes. Mais les graines sont invisibles. Elles dorment dans le
secret de la terre jusqu’à ce qu’il prenne fantaisie à l’une d’elles de se
réveiller. Alors elle s’étire, et pousse d’abord timidement vers le soleil une
ravissante petite brindille inoffensive. S’il s’agit d’une brindille de radis
ou de rosier, on peut la laisser pousser comme elle veut.
Mais s’il s’agit d’une mauvaise plante, il faut
arracher la plante aussitôt, dès qu’on a su la reconnaître. Or il y avait des
graines terribles sur la planète du petit prince… c’étaient les graines de baobabs.
Le sol de la planète en était infesté. Or un baobab, si l’on s’y prend trop
tard, on ne peut jamais plus s’en débarrasser.
Il encombre toute la planète. Il la perfore de
ses racines. Et si la planète est trop petite, et si les baobabs sont trop
nombreux, ils la font éclater.
« C’est une question de discipline, me disait
plus tard le petit prince. Quand on a terminé sa toilette du matin, il faut
faire soigneusement la toilette de la planète. Il faut s’astreindre
régulièrement à arracher les baobabs dès qu’on les distingue d’avec les rosiers
auxquels ils ressemblent beaucoup quand ils sont très jeunes. C’est un travail
très ennuyeux, mais très facile. »
Et un jour il me conseilla de m’appliquer à
réussir un beau dessin, pour bien faire entrer ça dans la tête des enfants
de chez moi. "S’ils voyagent un
jour, me disait-il, ça pourra leur servir. Il est quelquefois sans inconvénient de remettre
à plus tard son travail. Mais, s’il s’agit des baobabs, c’est toujours une
catastrophe. J’ai connu une planète, habitée par un paresseux. Il avait négligé
trois arbustes… »
Et, sur les indications du petit prince, j’ai
dessiné cette planète-là. Je n’aime guère prendre le ton d’un
moraliste. Mais le danger des baobabs est si peu connu, et les risques courus
par celui qui s’égarerait dans un astéroïde sont si considérables, que, pour
une fois, je fais exception à ma réserve. Je dis : « Enfants ! Faites attention
aux baobabs ! » C’est pour avertir mes amis d’un danger qu’ils frôlaient depuis
longtemps, comme moi-même, sans le connaître, que j’ai tant travaillé ce
dessin-là.
La leçon que je donnais en valait la peine. Vous
vous demanderez peut-être : Pourquoi n’y a-t-il pas, dans ce livre, d’autres dessins
aussi grandioses que le dessin des baobabs ? La réponse est bien simple : J’ai
essayé mais je n’ai pas pu réussir. Quand j’ai dessiné les baobabs j’ai été
animé par le sentiment de l’urgence.